Travailleurs handicapés, changement de prisme
Et si l’emploi de collaborateurs en situation de handicap était un facteur d’innovation et de performance ?
En matière de handicap, les idées reçues ont la vie dure dans l’entreprise. Pourtant, plus qu’une simple obligation légale, le recrutement de collaborateurs en situation de handicap peut s’avérer un facteur de performance et d’innovation au sein des équipes, et de responsabilité sociétale vis-à-vis de l’extérieur. Formation, recrutement, aménagement des postes de travail : tout problème a sa solution, notamment grâce aux associations, aux cabinets spécialisés, voire aux dispositifs de formation proposés par les grands groupes.
par Adeline Farge
Moins productives, moins polyvalentes et beaucoup plus absentes… Confrontées à ces préjugés encore tenaces et à un marché de l’emploi morose, les personnes en situation de handicap peinent toujours à intégrer le monde du travail. Fin 2014, quelque 452 700 d’entre elles pointaient à Pôle emploi, un chiffre en augmentation de 9,5 % sur 12 mois, selon l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapés (Agefiph). Plus sujettes aux discriminations à l’embauche, leur taux de chômage bat des records. Il atteint les 21 %, soit le double des personnes valides. “Les chiffres sont alarmants. Cette forte hausse est imputable à une croissance du nombre de travailleurs reconnus handicapés. Mais la dégradation est aussi liée à la crise économique. Les entreprises gèlent les embauches voire ferment des usines ou déposent le bilan. La situation conjoncturelle s’est reportée directement sur l’emploi des personnes handicapées”, analyse Éric Blanchet, directeur général de l’Adapt.
Cependant, sous le poids de la législation et de la société, les entreprises s’engagent, notamment à travers des accords collectifs, à recruter et à maintenir en emploi les personnes handicapées. Depuis la loi du 10 juillet 1987, les sociétés de plus de 20 salariés sont soumises à l’obligation légale d’employer 6 % de travailleurs handicapés dans leur effectif, faute de quoi elles s’exposent à de lourdes pénalités financières. Malgré de légères avancées, ces quotas sont loin d’être atteints. D’après la Dares, seulement 3,1 % des salariés du privé sont en situation de handicap, avec de fortes disparités entre les secteurs d’activité.
“Depuis la loi sur le handicap de 2005, les entreprises intègrent de plus en plus de travailleurs handicapés dans leurs effectifs. Même s’il reste du travail à faire, ce sujet rentre dans leurs pratiques RH. En s’impliquant dans des politiques diversité, elles ont conscience qu’elles vont attirer les talents. Au-delà du salaire, les nouvelles générations souhaitent donner du sens à leur carrière et recherchent avant tout à se reconnaître dans les valeurs sociales de leur employeur”, souligne François Bénard, responsable activité recrutement à JLO Emploi, cabinet de conseil sur l’emploi des travailleurs handicapés. Autre atout imparable, l’impact des politiques diversité sur l’image de marque de l’entreprise auprès des clients, et donc sur le chiffre d’affaires. “L’intégration de personne en situation de handicap est un facteur de performance. Beaucoup plus motivées que les autres et moins focalisées sur leurs bobos, elles vont contribuer à créer une ambiance stimulante dans nos boutiques et à renforcer la cohésion au sein des équipes”, estime Laurent Depond, directeur diversité du groupe Orange.
Des solutions contre le manque qualifications
Bardées de leurs plus belles intentions, les entreprises se heurtent toutefois un obstacle de taille lorsqu’il s’agit de recruter une personne en situation de handicap : le faible niveau de qualification. Seuls 25 % ont un niveau supérieur ou égal au bac, contre 44 % de l’ensemble des publics, selon l’Agefiph. “Les personnes handicapées sont sur-représentées parmi les non-diplômés, et ce faible niveau de formation ne favorise par leur retour en emploi. Aujourd’hui, les entreprises sont de plus en plus exigeantes et recherchent souvent des profils pointus. Elles recrutent en majorité des titulaires de bac+4 voire de bac+5. Elles ont donc du mal à dénicher des candidats avec les compétences requises”, estime Sylvain Gachet, directeur grands comptes à l’Agefiph, l’Association de gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
Cette inadéquation entre les compétences de personnes en situation de handicap et les besoins des entreprises est d’autant plus flagrante pour des secteurs comme l’informatique, l’audit, le conseil ou encore le marketing, qui recrutent essentiellement des ingénieurs ou des jeunes diplômés issus des écoles de commerce. Pour donner leur chance au plus grand nombre, certaines branches professionnelles comme la banque, l’assurance, la propreté ou encore l’informatique, construisent des parcours de formation sur-mesure. Depuis 2010, le secteur aéronautique et spatial, au travers de l’association Hanvol, recrute des personnes en situation de handicap en contrat d’alternance sur une large palette de métiers : tourneurs-fraiseurs, ajusteurs-monteur, logisticiens, concepteurs, ingénieurs…
Pour remplir son objectif de 300 recrutements en CDI sur trois ans, la SNCF mise également l’alternance pour former ses futurs collaborateurs au métier de technicien de maintenance et de commercial, le cœur de son activité. “Chaque année, nous menons des campagnes de recrutement importantes, mais nous ne trouvons pas les candidats avec les formations requises. La plupart ont acquis leur handicap au cours de la vie et entreprennent une reconversion professionnelle. Nous avons donc mis en place le dispositif maison Hantrain. Ils ont la motivation, nous leur apportons les compétences et un diplôme. Cela contribue à leur redonner confiance en eux”, précise Michèle Delaporte, responsable de la mission handicap et emploi de la SNCF, qui affiche un taux d’emploi de 4,49 % fin 2014.
Des méthodes de recrutement à faire évoluer
Afin de faire connaître leurs métiers et de rechercher des candidats potentiels, les entreprises ont la possibilité de participer à des forums-emploi dédiés à ce public, et de solliciter des partenaires spécialisés dans l’accompagnement des personnes handicapées. Parmi les acteurs incontournables : le réseau des Cap emploi, les Centres de rééducation professionnelle (CRP), l’Association des paralysés de France (APF), l’Agefiph et Pôle emploi. Dotées de CVthèques bien garnies, ces structures sont en mesure de mettre les employeurs potentiels en relation avec des demandeurs d’emploi en situation de handicap. Les entreprises en quête de profils qualifiés ont intérêt à se tourner vers les référents handicap des universités et des grandes écoles, qui s’emparent de plus en plus de cette thématique.
Enfin, pour jouer la carte de la sécurité, d’autres optent pour les cabinets de ressources humaines spécialisés qui aiguillent les recruteurs durant tout le processus de recrutement. “Les entreprises doivent changer leurs méthodes de recrutement. S’ils ne sont pas suffisamment formés, les managers risquent de retoquer systématiquement les CV. Les recruteurs craignent d’embaucher les personnes handicapées. Ils ont peur de poser des questions interdites, d’être maladroits. Nous allons les aider à aborder la question du handicap lors des entretiens d’embauche. C’est important de questionner la personne sur ses restrictions professionnelles et les aménagements qui lui sont nécessaires pour être performante. En revanche, interroger le candidat sur les causes de son handicap est illégal”, prévient Stéphanie Galvan, directrice générale du cabinet Ariane Conseil.
Les aménagements des postes de travail
Au-delà du sourcing et de la sélection des candidatures, les consultants vont déterminer avec l’aide d’un ergonome les contraintes du poste de travail à pourvoir (port de charges lourdes, déplacements nombreux, posture debout prolongée), et étudier les adaptations possibles pour faciliter l’intégration du futur collaborateur. La priorité : favoriser l’accessibilité au bureau, par exemple en prenant en charge les frais de taxis, en sécurisant les escaliers, en installant des rampes. Pour les salariés qui n’ont plus la possibilité d’emprunter les transports en commun en raison de leur état de santé, Orange consacre un budget à la mise à disposition de véhicules aménagés, mais aussi à des outils pour se repérer dans l’espace.
Autre possibilité : assouplir les horaires de travail et plébisciter le télétravail pour ceux qui souffrent d’une maladie invalidante ou suivent un traitement lourd. Si nombre d’entreprises imaginent des difficultés insurmontables, seuls 20 % des recrutements nécessitent des aménagements, cofinancés par l’Agefiph. Mobilier ergonomique, logiciels de reconnaissance vocale, clavier braille, grossisseur de caractères, traducteur en langue des signes peuvent ainsi être préconisés, selon les cas, par la médecine du travail pour compenser le handicap. “Ces aménagements peuvent profiter aux autres salariés. Quand l’entreprise travaille à l’intégration des travailleurs handicapés, elle est amenée à s’interroger sur son organisation et à améliorer les conditions de travail en général. C’est donc un levier d’innovation”, précise Stéphanie Galvan, d’Ariane Conseil.
Pour créer un environnement propice à l’accueil d’un nouveau collaborateur, les entreprises sensibilisent, notamment grâce à des modules de e-learning, leurs équipes et leurs managers. “Les salariés ont des difficultés à appréhender le handicap. Les troubles psychiques notamment peuvent faire peur par méconnaissance.
Certaines entreprises mettent en place des formations pour inciter leurs collaborateurs et leurs managers à changer leur regard sur le handicap. On leur prouve que ces personnes sont capables de travailler”, explique François Bénard, de JLO Emploi. Ainsi, durant deux ans, Auchan a fait intervenir une troupe de théâtre pour aider ses salariés souvent désarmés à s’approprier les bonnes pratiques et à répondre à leurs interrogations. Grâce à des saynètes sur la vie quotidienne au travail, les collaborateurs ont pu aborder cette question complexe sans tabou et dédramatiser les situations. Les jeux et autres ateliers sensoriels, les films et BD ou tout simplement les campagnes d’affichage sont autant d’outils pour balayer les idées reçues.
source : le nouvel économiste