Inclusion numérique des personnes handicapées
L’inclusion numérique des personnes handicapées et la commande publique : un chantier d’avenir
Ces jours-ci, le projet de loi pour une République Numérique est discuté à l’assemblée nationale. Il s’agit sans aucun doute d’un projet important et ambitieux. L’un de ses axes est l’accessibilité numérique c’est-à-dire le fait de permettre à tous, notamment les personnes souffrant de handicap, d’utiliser des ordinateurs et leurs logiciels, et de consulter ou créer des ressources numériques, sur tout type de support (ordinateur, téléphone portable, tablette…) quel que soit le type de handicap (visuel, auditif, moteur, cognitif,…). L’accessibilité numérique, en permettant la diffusion de produits et services numériques accessibles favorise l’insertion professionnelle, l’intégration sociale et un cadre de vie autonome.
Il s’agit d’un sujet sensible, mais qui mobilise peu. Il est d’ailleurs significatif qu’alors que la loi sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées date de 2005(1), il ait fallu revenir en 2014 sur l’accessibilité des bâtiments et des services publics de transports collectifs (ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014) et, cette année, sur l’accessibilité numérique.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Dès 2005, la loi dite handicap a imposé (article 47) l’accessibilité des services de communication publique en ligne pour les services de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent aux personnes handicapées. Cette obligation concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation.
S’agissant des sites internet publics, les règles relatives à l’accessibilité et les modalités de leur mise en œuvre ont été précisées par le décret n° 2009-546 du 14 mai 2009 et le Référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RG2A), actualisé par l’arrêté du 29 avril 2015.
Ces textes se réfèrent aux recommandations internationales et européennes pour l’accessibilité de l’internet qui doivent être appliquées aux services de communication publique en ligne. Ils définissent notamment la nature des adaptations à mettre en œuvre ainsi que les délais de mise en conformité des sites existants et les sanctions imposées en cas de non-respect de cette mise en accessibilité. La réglementation énonce en outre les modalités de formation des personnels intervenant sur les services de communication publique en ligne.
Le contrôle de conformité des sites internet au référentiel d’accessibilité se fait sur la base d’une déclaration en ligne des services publics, les sites non-conformes devant figurer sur une liste mise en ligne par le ministre chargé des personnes handicapées.
Malheureusement, ces mesures, en application depuis 2009, se sont révélées totalement inefficaces puisque seulement 4% des sites se sont conformés à cette règle (source étude d’impact du projet de loi).
L’enjeu est pourtant de taille. Selon une enquête de l’INSEE réalisée en 2007, le nombre de personnes en situation de handicap représenterait entre 10 et 20 % de la population, chiffre cohérent avec le rapport mondial sur le handicap publié par l’OMS en 2010 qui recense environ 15 % de la population mondiale ayant un handicap. En outre et ainsi que le souligne à juste titre le RG2A, le nombre de seniors susceptibles de perdre certaines capacités avec l’âge est en augmentation.
Quel sera le nouveau dispositif ?
Certes le texte n’est pas figé. Mais sur l’accessibilité, on peut penser qu’il reste peu ou prou ce qu’il est aujourd’hui.
D’abord, l’obligation d’accessibilité est étendue aux organismes délégataires d’une mission de service public. Ensuite, tout service de communication publique en ligne devra comporter, sur chacune de ses pages, une mention visible précisant s’il est ou non conforme aux règles d’accessibilité ainsi qu’un lien renvoyant à une page indiquant l’état de mise en œuvre du schéma pluriannuel de mise en accessibilité et du plan d’action de l’année en cours et permettant aux usagers de signaler les manquements aux règles d’accessibilité.
Le schéma pluriannuel définit le programme et les modalités de mise en accessibilité des sites internet et intranet, ainsi que de l’ensemble des progiciels mis à disposition des utilisateurs des sites.
Ce schéma se décline en feuille de route annuelle et prévoit en outre un programme de suivi de la prise en compte de l’accessibilité lors de chaque modification, mise à jour ou changement de contenu des sites.
Le défaut de mise en conformité d’un service de communication publique en ligne fera l’objet d’une sanction administrative dont le montant pourrait aller jusqu’à 5 000 EUR. Le produit des sanctions sera versé au Fonds d’accessibilité universelle crée par l’ordonnance du 26 septembre 2014 et sera réservé au développement de la recherche dans le domaine de l’accessibilité.
L’objectif affiché est d’inciter les personnes publiques à respecter les normes d’accessibilité numérique grâce à la mise en œuvre d’un moyen simple à mettre en œuvre mais incitatif au changement : l’ajout d’une simple mention de conformité aux règles d’accessibilité sur les sites internet des personnes publiques.
Comment les personnes publiques peuvent-elles intégrer ces obligations d’accessibilité ?
Non seulement pour satisfaire à leurs obligations mais aussi, et surtout, pour inclure les personnes handicapées, les personnes publiques doivent avoir en tête les questions d’accessibilité numérique. Pour cela, elles disposent d’outils efficaces qu’elles peuvent aisément utiliser dans le cadre de la commande publique.
La directive 2014/24 sur la passation des marchés publics évoque à plusieurs reprises la question de l’accessibilité. A propos de la communication électronique lors de la passation, il est indiqué (considérant 52) que l’utilisation de ces moyens de communication devrait « tenir dûment compte de l’accessibilité pour les personnes handicapées ».
Plus spécifiquement à propos de la détermination des besoins, l’article 42 de la directive relatif aux spécifications techniques mentionne précise que « Pour tous les achats destinés à être utilisés par des personnes physiques, qu’il s’agisse du grand public ou du personnel du pouvoir adjudicateur, il est nécessaire que les pouvoirs adjudicateurs prévoient des spécifications techniques de façon à prendre en compte, sauf dans des cas dûment justifiés, des critères d’accessibilité pour les personnes handicapées ou d’adaptation de la conception à tous les utilisateurs. »
Quant à l’article 67 de la directive, il mentionne, parmi les critères d’attribution, l’accessibilité et la conception pour tous les utilisateurs.
Le projet de décret relatif aux marchés publics qui entrera en vigueur au plus tard en avril 2016 reprend les mêmes items en mentionnant que les spécifications techniques sont établies de manière à prendre en compte des critères d’accessibilité pour les personnes handicapées ou des critères de fonctionnalité pour tous les utilisateurs (article 8) et en faisant de l’accessibilité un critère d’attribution des offres (article 59).
Ces 2 textes constituent un pas en avant puisqu’ils vont plus loin que le code des marchés publics actuel qui ne mentionne l’accessibilité qu’au titre des spécifications techniques (article 6).
Il sera donc encore plus aisé demain qu’aujourd’hui d’imposer aux candidats aux marchés publics de proposer des prestations garantissant l’accessibilité numérique. D’autant plus que l’acheteur public peut s’appuyer sur la norme NF EN 301549 relatives aux « Exigences d’accessibilité applicables aux marchés publics pour les produits et services ICT » qui porte précisément sur ce point.
L’acheteur public pourra donc soit fixer un critère d’attribution qui porte sur l’accessibilité, soit ce qui serait plus logique s’agissant d’une obligation qui s’impose à lui, imposer le respect d’exigences fonctionnelles, voire d’un référentiel ou d’une norme relative à l’accessibilité.
Source : La Gazette.fr