Formation continue : où en est on ?
Il y a bientôt deux ans que la formation professionnelle a été réformée par une loi de mars 2014 et un an que le compte personnel de formation (CPF) a remplacé le DIF (droit individuel à la formation). Réunis pour la 14ème Université d’hiver de Centre Inffo (l’organisme d’information sur la formation continue), les acteurs du système – organismes de formation, organismes paritaires, syndicats, entreprises, etc. – en ont débattu du 27 au 29 janvier. Venue lancer les débats, la ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, Myriam El Khomri, y voit un élément central de dialogue dans les entreprises : « Il faut les convaincre que l’investissement dans la formation est indispensable. Un employé formé est motivé tout en étant protégé sur le marché du travail. Mais nous devons aussi admettre que les démarches restent trop compliquées ».
Le CPF n’est pas le DIF !
Quand le compte personnel de formation (CPF) a succédé au DIF beaucoup ont cru à un simple remplacement. Grave erreur. « Au système ouvert qu’était le DIF a succédé un processus élaboré dans lequel les formations doivent justifier de leur valeur pour être agréées. Le CPF pousse à penser différemment », explique Claire Khecha, directrice d’Opcalia, l’un des deux Opca interprofessionnels (organismes paritaires collecteurs agréés) qui collectent les contributions des entreprises pour financer la formation des salariés. « Le CPF permet l’individualisation des parcours tout en accompagnant l’individu tout au long de sa vie, dont les périodes de chômage, ce qui représente une grande avancée », confirme Olivier Faron, administrateur général du Cnam, qui forme chaque année 80 000 auditeurs en formation continue dans quasiment toutes les disciplines universitaires (relire son entretien complet).
« Nous allons vers un système de qualification professionnelle qui vous suit tout au long de la vie. Aujourd’hui on ne peut plus se contenter d’une formation initiale suivie d’expériences. Ces expériences il faut les prouver par des certifications », estime Xavier Royer, co-animateur du comité des observatoires des certifications au sein du Copanef (Comité interprofessionnel pour l’emploi et la formation), l’instance paritaire patronat/syndicats qui chapeaute tout le système. « Dire “anglais : lu, parlé, écrit” sur un CV, c’est bien mais c’est quand même mieux de montrer qu’on a un niveau de 750 au TOEIC ! »
- Contrairement au DIF, les formations accessibles au CPF peuvent être suivies individuellement ou dans le cadre de son entreprise. Mais le processus est si complexe que la plus grande partie de ceux qui se forment vont continuer à le faire par le prisme de leur entreprise. « En 2015 sur les quelques 8000 CPF que nous avons financés, 10% l’ont été de façon individuelle », remarque Patrice Lombard, le président d’Opcalia, qui ne reçoit de toute façon pas le public mais conseille les entreprises et les structures relais auxquelles peuvent s’adresser les particuliers.
- Les heures de formation acquises au titre du DIF sont utilisables dans le cadre du CPF. Il suffit d’inscrire le solde d’heures communiqué par son employeur sur son compte personnel de formation.
Des compétences en blocs
En les engageant à obtenir certifications et diplômes, l’objectif essentiel de la réforme est de sécuriser le parcours des salariés . Pour autant, les heures de formation accessibles dans le cadre du CPF ne pouvant pas dépasser les 120 heures après six ans, on reste donc loin des au moins 300 heures nécessaires par exemple pour chaque année de master. D’où la division des formations en « blocs de compétences » cumulables. « Le recours à leur CPF permet aux salariés de se former sur un premier bloc puis d’enchaîner sur une VAE (validation des acquis de l’expérience) partielle et de finir par un parcours individualisé », détaille Gilles Pouligny, directeur général adjoint en charge de la formation continue du groupe IGS. « Se perfectionner en allemand dans la filiale française d’un groupe allemand, c’est par exemple monter en compétences », analyse Patrice Lombard, le président d’Opcalia.
- Une certification CléA a été créée qui doit permettre aux salariés d’attester de sept grands domaines de compétences (communiquer en français; utiliser les règles de base de calcul et du raisonnement mathématique; utiliser les techniques usuelles de l’information et de la communication numérique; travailler dans le cadre de règles définies d’un travail en équipe; travailler en autonomie et réaliser un objectif individuel; apprendre à apprendre tout au long de la vie; maîtriser les gestes et postures, et respecter des règles d’hygiène, de sécurité et environnementales élémentaires). Mais comme cela serait trop simple, d’autres peuvent être ajoutées par les régions…
Le difficile démarrage du CPF
En 2015, 210 000 dossiers de CPF ont été validés contre 515 000 de DIF l’année précédente. Pour devenir une certification éligible au CPF, une formation doit en effet obligatoirement être inscrite sur une liste gérée par le Copanef et ses représentations régionale. Et c’est là que le bas blesse. Au-delà d’un oubli initial de l’ensemble des formations en langues, qui représentaient une très grande partie des DIF, aujourd’hui réparée la mise en place de ces listes prend du retard au point que le député rapporteur de la loi, Jean-Patrick Gille, parle d’un « grand bordel » : « Il y a, on ne sait combien de listes au lieu de la seule que j’imaginais ; c’est le gros point noir ! » « Le problème c’est qu’aujourd’hui les listes du compte personnel de formation (CPF) sont pléthoriques », confirme Christian Janin. Sans parler d’une plate forme mise au point par la Caisse des dépôts qui a bien du mal à communiquer avec celle des Opca…
Alors que les organismes de formation se battent pour faire inscrire l’ensemble de leurs formations sur ces listes, nombreuses sont également les universités et les grandes écoles à ne pas y retrouver des diplômes parfois bien éprouvés mais qui n’entrent pas forcément dans le spectre des formations que les partenaires sociaux jugent illisibles. « La liste devrait être accessible à tous à partir des formations inscrites au RNCP plus des listes de branche et régionales pour l’abondement », défend Catherine Perret, responsable de la formation au sein de la CGT.
- Les retards à l’allumage du CFP comme les hésitations des entreprises dans la mise en œuvre de leurs plans de formation font que le marché de la formation continue semble durablement déprimé. En juin 2015, 36% des responsables de formation interrogés par le Garf dans son Baromètre envisageaient ainsi de baisser le volume de leurs achats contre seulement 5% qui pensaient l’augmenter et 59% le maintenir. La Fédération de la formation professionnelle (FFP) évoque même la « mort » des organismes – on en compterait 80 000 en France dont beaucoup ne comptent qu’une seul salarié – qui avaient tout misé sur le DIF quand les partenaires sociaux privilégient des formations longues et diplômantes… peu accessibles avec un CPF forcément encore peu abondé.
De nouveaux acteurs
C’est dans ce contexte que le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche incite les établissement d’enseignement supérieur, et singulièrement les universités, à déployer leurs activités dans la formation continue. Un « Réseau d’établissements pilotes pour le développement de la formation continue dans l’enseignement supérieur » a même été créé pour mettre en œuvre les recommandations de François Germinet, président de l’université Cergy Pontoise, qui préconise notamment dans un rapport de s’appuyer sur la proximité avec la recherche. « On ne peut pas dire juste aux enseignants-chercheurs “Maintenant faites de la formation continue”. La formation continue doit entrer dans leur référentiel comme une mission mais il faut aussi trouver des personnes motivées », commente Olivier Simonin, président de l’INP Toulouse, sélectionné dans le réseau d’expérimentation pour son travail commun avec l’ENI de Tarbes et l’INSA Toulouse, persuadé que ce sera « sans doute moins difficile dans les écoles d’ingénieurs que dans les universités car nous sommes plus au contact des entreprises ».
Quand on parle ailleurs d’expérimentations, l’université Paris-Dauphine s’appuie sur plus de quarante ans d’expériences (sa « mission formation » a été créée en 1972). « Tous les enseignants-chercheurs sont intéressés par la formation continue et plus on rencontre d’entreprises, plus on a d’idées de formation », assure Isabelle de Blignères, responsable du master « Management de la formation » de Paris-Dauphine,, qui développe aujourd’hui son expertise sur le sujet clé de la supply chain management en s’appuyant sur la qualité de la recherche de son université. Au total, Dauphine réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros en formation continue en s’appuyant sur ses anciens et sa fondation mais aussi sur des partenariats avec le leader mondial qu’est Cegos. Un réseau constitué, une marque, des diplômes et formations reconnues par les entreprises une implication de tous, autant d’éléments qu’on ne réunit pas du jour au lendemain…