Santé au travail – risques psychosociaux : Très peu d’avancées
Moins de 30% des entreprises disposent d’un comité d’hygiène
L’UMT et la CMIM décident de créer un observatoire dédié
Les risques psychosociaux, difficilement mesurables, ne cessent de grimper
SI, au niveau des réglementations, le Maroc n’a rien à envier à d’autres pays, sur le plan de l’application des normes relatives à la santé et sécurité au travail, il reste encore un long chemin à parcourir. D’année en année, très peu d’avancées sont réalisées dans le domaine. Le Maroc continue de faire partie des pays les plus dangereux de la région Mena pour les travailleurs, selon le Bureau international du travail. Le risque y est deux fois et demie plus élevé que la moyenne régionale. «Nous comptons moins de 30% d’entreprises disposant d’un comité d’hygiène et de sécurité», a soutenu le SG de l’UMT, Miloudi Moukharik, lors de la 5e journée interentreprises de santé et sécurité au travail, organisée mardi dernier par la CMIM (Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine). «Nous avons soumis au gouvernement l’idée de la création d’un observatoire des conditions de vie au travail il y a un an, mais nous n’avons reçu aucune réponse», regrette Moukharik. Face à «l’inaction» du gouvernement, le patron de la centrale syndicale a décidé, avec les responsables de la CMIM, de lancer le projet. L’annonce en a été faite le jour même de la rencontre de mardi, qui a rassemblé médecins, assureurs, entrepreneurs, syndicats et experts étrangers à l’hôpital Cheikh Khalifa de Casablanca.
Avec les innovations technologiques permanentes et l’évolution continue du contexte socioéconomique, la nature des dangers au travail ne cesse de changer. Les risques psychosociaux, notamment, prennent des dimensions de plus en plus importantes. «Nous sommes passés d’un monde industriel d’ouvriers, à un monde du tertiaire, et de l’impératif de la protection de l’intégrité physique des employés à celui de la préservation des risques psychiques», souligne Jean-Jacques Cette, membre du conseil de surveillance de l’assureur européen Allianz.
Concurrence exacerbée, pression sur les rendements des managers et collaborateurs, resserrement des délais, fusions/acquisitions, changement d’organigrammes et de stratégies, digitalisation et transformation des métiers, perte de visibilité sur l’avenir, open spaces et incivilité au travail,… autant d’ingrédients aggravant le danger sur le bien-être psychique des travailleurs, avec les somatisations que cela engendre, selon Cette. «Malheureusement, nous n’avons pas réussi ce passage, car ces nouveaux risques sont plus difficiles à mesurer», estime-t-il.
Les grands groupes sont de plus en plus nombreux à intégrer la santé au travail dans leur stratégie. A l’instar de Taqa Morocco, qui prépare actuellement sa certification RSE. Le producteur privé d’électricité dispose de tout un programme-cadre santé sur la période 2013-2018, élaboré en partenariat avec un bureau spécialisé.
Cependant, la prise de conscience est loin d’être générale. «Il s’agit d’un problème culturel sur lequel nous devons agir en amont, à travers des formations permettant d’inculquer la culture de la gestion des risques à nos étudiants», suggère Miloudi Moukharik.
Pour l’heure, peu de formations spécialisées existent au Maroc. «Sur les 200 grandes écoles que compte la France, 140 ont introduit des modules de santé au travail dans leurs cursus. Cela dit, uniquement 30% des élèves en sont concernés, et seulement 25% des chefs d’entreprises sont motivés pour y investir», relève Denis Garnier, assistant national FO-Santé (du syndicat français Force Ouvrière).
En France, la santé au travail fait l’objet de plans dédiés, négociés entre syndicats et gouvernement, et fixant les priorités en la matière. Le dernier en date (2016-2020), signé il y a près de deux semaines, recommande des formations à l’intention des managers et des dirigeants, ainsi que la création d’un réseau francophone d’écoles, y compris du Maroc, sur la santé-sécurité au travail.
«Plusieurs études ont démontré que les mesures de prévention des risques sont rentables. L’Association internationale de sécurité sociale, par exemple, a établi que pour un euro investi, le rendement est 2,2 fois supérieur à la somme de départ. L’Agence européenne pour la sécurité et la santé, elle, situe le retour sur investissement à 4,81 fois», assure Garnier.
Au-delà des actions de sensibilisation, les moyens de contrôle devraient aussi être renforcés. Au Maroc, le déficit en médecins et inspecteurs du travail est cruel, favorisant toutes sortes d’infractions et d’exactions dans le monde du travail.
Source : l’Economiste